Il y a écrit « Rubis », précédé d’un chiffre, sur bien des cadrans. Ou « Jewels ». Ce qui est la même chose. Pour répondre, d’entrée, à la question que j’entends régulièrement : NON, le nombre de rubis ne donne pas la valeur d’une montre. Ça n’a RIEN à voir. Parce que, c’est vrai, on pourrait croire que, comme le rubis est une pierre précieuse, plus il y en a dans un mouvement, plus le mouvement a de la valeur. Et bien NON.
Gemmes naturelles
Comme je l’expliquais dans un épisode précédent, avant de plonger dans l’horlogerie, les bijoux anciens étaient mon cœur de métier. Les pierres précieuses étant le noyau de la joaillerie, mon travail consistait à reconnaitre les vraies des fausses gemmes. Toutes les pierres précieuses peuvent être arrangées, embellies, par des traitements chimiques ou thermiques. Par exemple, en remplissant les porosités d’une émeraude avec de l’huile ou de la résine teintée, on peut passer d’un minéral très opaque et pâle, à une belle pierre transparente et bien verte.
Pour les corindons : le rubis et le saphir, mêmes pierres aux teintes différentes, on chauffe la gemme naturelle pour la rendre plus vive et transparente. Les diamants ont aussi leur traitement. Le « laser drill » est le plus courant, il s’agit de faire disparaitre les inclusions noires à l’aide d’un laser.
Mais avant de regarder si la pierre a subit un traitement, il faut d’abord s’assurer qu’elle est bien naturelle. C’est à dire : vient-elle du cœur de la terre ou est-elle sortie d’un laboratoire ?
Car TOUTES les gemmes se synthétisent aujourd’hui. Les résultats sont souvent assez proches du naturel, c’est pour cette raison qu’il faut toujours vérifier.
Les rubis naturels de Louis Abraham
Le corindon est un minéral très répandu sur terre, on trouve d’ailleurs des saphirs dans le massif central ou dans les Côtes d’Armor. Les plus beaux spécimens sortent de la terre du Cachemire ou de Birmanie.
C’est Louis Abraham Breguet qui a l’idée de se servir de ce minéral. En effet, sur l’échelle de Mohs, le corindon est juste après le diamant, ce qui veut dire que rien n’est plus dur que le corindon, à part le diamant. Le rubis a une dureté de 9 alors que l’acier trempé n’est qu’à 6,4.
Breguet part d’un constat : l’acier des axes du rouage et le laiton des platines qui les maintiennent en sandwich ne peuvent cohabiter longtemps. L’acier, même très bien poli, ronge le laiton à force de friction et les roues prennent du jeu. Qu’a-t-il entre les mains pour éviter ce phénomène ? Il se tourne rapidement vers les minéraux et en particulier vers les corindons. On peut les polir grâce au diamant. Bien les polir. Pour éviter d’avoir un support abrasif. Chasser (mettre en force) des corindons dans les platines, permet à Breguet de rendre la vie (presque) éternelle à ses montres. Cette découverte est majeure dans l’horlogerie, c’est comme si un constructeur automobile inventait un moteur que ne s’use pas. C’est tellement inimaginable dans notre ère de l’obsolescence programmée…
A la fin du XVIIIème siècle, Louis Abraham n’a pas trop de choix. Les seuls corindons qu’il peut exploiter sont naturels. En revanche, son cahier des charges est moins draconien que celui des joailliers. Peu importe la couleur, peu importe l’épaisseur, il peut utiliser toute sorte de corindon. Le saphir fait aussi bien le job que le rubis.
Les rubis synthétiques d’Auguste
Cette découverte est reprise par tous les horlogers, de France, de Navarre et d’encore plus loin. C’est une jurisprudence. Dès lors, les montres sont plus simples à réviser, à entretenir, à huiler.
Mais notre chère mère nature ne crée trop rarement des gemmes parfaites et la demande grandissante de corindons pour l’horlogerie fait monter les prix du brut. Avec le volume de montres de poche produit à la fin du XIXème, l’approvisionnement commence à poser problème.
C’était sans compter sur l’esprit du chimiste Auguste Verneuil. A la fin du XIXème, il se rend compte que les conditions thermodynamiques du ventre de la terre ne sont pas forcement nécessaires pour faire cristalliser l’alumine qui composte les corindons. Il met 6 ans à élaborer un procédé de fusion anhydre de l’alumine, à l’aide d’un chalumeau.
Ce procédé « Verneuil » permet aussi de teinter les corindons. Ce qui différencie un saphir d’un rubis, c’est sa couleur. A l’instar des corindons naturels, les couleurs des rubis et des saphirs de synthèse sont colorés grâce à des oxydes de métaux.
Oxydes et couleurs
- Chrome pour la couleur rouge – rose du rubis
- Titane et de fer pour le bleu
- Vanadium pour le violet
C’est Auguste Verneuil qui choisit d’utiliser l’oxyde de chrome pour teinter ses corindons et faire des rubis. Sa découverte est dévoilée en 1902 et le succès est immédiat. Les horlogers peuvent à présent disposer de pierres calibrées, en teinte et en taille, et bien plus abordables.
Aujourd’hui encore, c’est le procédé de synthèse de rubis en vigueur dans l’horlogerie. Mais, depuis la fin des années 70, il est aussi utilisé pour fabriquer une autre pièce de la montre. Vous savez la quelle ?
Verre Saphir
Quelle invention ! C’était pourtant sous le nez de tous les horlogers depuis presque un siècle. Comme quoi, avoir tous les jours le nez dans la même chose inhibe l’imagination.
J’ai fais des recherches sur le premier verre saphir et ma conclusion est la suivante : – ATTENTION JE ME TROMPE PEUT-ÊTRE – se serait Rolex qui équipa en premier sa Oysterquartz d’un verre saphir en 1978. Issu d’un procédé Verneuil, ce corindon incolore est la même chose que les rubis utilisés dans les mouvements depuis 70 ans (70 ans en 1970, il faut suivre là !). Le procédé a un peu évolué, permettent de faire de plus larges poires de corindon synthétique et surtout d’obtenir un minéral totalement incolore et transparent. Même les zones de croissances, visibles dans les corindons de couleurs, disparaissent dans le saphir destiné au verre de montre.
Quel bonheur le saphir. Comme je le disais avant, seul le diamant peut le rayer. Donc, à part en se frottant la montre avec son solitaire à l’envers, il y a peu de chance pour que son verre de montre soit en contact avec un diamant. Ce type de glace est donc physiquement inrayable. Prenez gardes, les papiers et toiles emeri sont recouverts de poudre de diamant de différentes moutures, ils rayent donc les verres saphir.
Attention, inrayable ne veut pas dire incassable car un choc avec de la céramique ou de l’acier peut casser les verres saphir. Il n’est d’ailleurs pas rare de faire des changements de verres sur des montres modernes pour cette raison.
Toujours Swatch
Les Suisses sont avancés dans cette technologie et Apple achète les glaces de ses Apple Watch à une société Suisse (filiale du Swatch Group, encore eux). Apple voulait aussi équiper l’iPhone de ces verres, mais le coût de production d’un verre saphir de cette taille les a découragé assez vite. Pour info, un verre saphir générique, cout au minimum 80 euro pièce, que qui est bien plus élevé que les 10 ou 15 euro des verres plexiglas.
Mais l’indice de réfraction du saphir est très élevé, bien plus que celui du verre minéral ou encore du plexi. Le problème avec un indice aussi haut est que la lumière qui traverse la vitre est trop réfracté et que le cadran a un rendu moins vif, un peu plus éteint qu’avec un plexi. On s’en rends compte avec la Omega Speedmaster qui est vendue en deux livrées. L’une en plexiglas comme à l’origine et l’autre en verre saphir. Il est intéressant de comparer le rendu visuel des deux cadrans (identiques). Oui, je chipote.
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