En géologie, il existe plusieurs types de datation. Les deux principales sont la datation absolue et la datation relative.
- La datation absolue est la mesure de la demie-vie des isotopes (le plus connu étant le carbone 14)
- La datation relative est une manière de dater un objet, un fossile, par l’observation du milieu dans lequel il est découvert (les strates de sédiments par exemple)
Dans cet épisode, je vais utiliser la datation absolue dans l’horlogerie, en utilisant le Radium, le Tritium et par extension, tous les produits luminescents, comme marqueurs.
Radium, tritium et luminol
Radium
Une scène le livre « Le grand crique » de Pierre Closterman, m’a marqué : Il se fait réveiller pour une mission de nuit. Avant de s’équiper et de courir vers son Hawker « Tempest », il regarde sa montre. Dans l’obscurité totale de la chambrée, les index et aiguilles luminescentes indiquent 3 heures du matin. Ce qui a attiré mon attention dans ce passage est le fait qu’à cette heure tardive, la matière luminescente de la montre était encore active. L’action se passe à la fin de l’année 1945. Quelle montre a-t-il au poignet ? Mystère. Mais la question n’est pas là.
Quelle matière, en 1945, pouvait emmagasiner autant de lumière et la rendre, peu à peu, pendant de si longues heures ?
C’est le Radium.
Movado des années 30 aux chiffres et aiguilles au radium
Ce métal, hautement radioactif, découvert par Marie Curie, est utilisé pour de nombreuses applications en ce début de XXème siècle. Notamment les rayons X de la radiologie. C’est Pierre Curie qui découvre des propriétés luminescentes du Bromure de Radium. Cette découverte est presque aussitôt utilisée par les horlogers pour rendre l’heure visible dans la nuit (Un brevet de peinture lumineuse est déposé par un américain en 1903). C’était, jusque là, impossible. Avant cette découverte, la nuit, l’heure s’écoutait ! (C’est une autre histoire).
Ce qui nous intéresse, c’est le laps de temps pendant lequel le radium a été utilisé dans l’horlogerie. Avec précision : de 1903 à 1962.
Par exemple, sur la première Speedmaster 2915 et 2998, les cadrans sont « SUISS » uniquement. Ce qui veut dire qu’ils sont peint au radium. Par extension, les aiguilles aussi. C’est en 1963 que l’on voit apparaître le « T SUISS T » à 6 heures sur cadran.
Le radium était bien trop dangereux pour pouvoir être porté tous les jours. Il s’avère aussi qu’il a tendance à brûler le vernis (zapon) des cadrans.
Voyez ce cadran de Longines NOS, on distingue, par une brûlure sur le cadran, l’endroit où est resté l’aiguille au radium.
Comment savoir, aujourd’hui, si le cadran de ma montre est au radium ? Il faut vérifier si la luminescence est encore active. Pour cela, les UV sont très efficaces. Si la peinture réagit sous les UV, alors il y a des chances pour que ça soit bon. La demi-vie du Radium est de 1600 ans, même très exposée, beaucoup portée, la matière reste un peu active. Il change de couleur avec le temps. Toutes les teintes, du jaune au noir, sont possibles. On peut aussi contrôler son cadran à l’aide d’un compteur Geiger. Il en existe de petits, que l’on branche sur le smartphone. Si il y a du Radium, vous le saurez immédiatement.
Suite à de nombreux scandales (des boissons énergisantes, crèmes de beauté au radium, étaient vendues dans le commerce jusqu’en 1937), le radium est interdit en 1962. Les horlogers doivent se tourner vers un autre radionucléide.
Rolex 5508 avec un cadran « SUISS 25<T » de service
Les montres d’avant 1962 avec un cadran « T SUISS T » ou « SUISS 25<T » ne possèdent pas leur cadran d’origine.
Tritium
Le Tritium est choisi pour remplacer le Radium. C’est un isotope de l’Hydrogène. Il fut découvert et produit pour accélérer le procédé de fusion nucléaire. Avec du Tritium, les bombes H pètent plus fort. Mais ça n’est pas ce qui nous intéresse ici. La luminescence générée par le Tritium est très efficace et permet des éclairages sans source d’énergie. C’est ce qui est intéressant pour les index et aiguilles de montres. En revanche, sa demi-vie est de 12,32 ans.
Ici un cadran de 1969, « T SUISS MADE T » tout à fait conforme
Ce radionucléide est imposé (par manque d’autre solution) aux horlogers, depuis l’interdiction du Radium en 1962. LA PLUS PART DES MONTRES à index et/ou aiguilles lumineuses, de 1963 à 1997, DOIVENT avoir le marquage « T SUISS T », « T SUISS MADE T » ou « SUISS 25<T » sur le cadran à 6h. Si cela ne figure pas sur le cadran, il y a de fortes chances qu’il ait été changé. Ou repeint. En effet, comme pour le radium avant lui, le Tritium est presque exclusivement utilisé pendant cette période. Omega, par exemple, arrète définitivement le Tritium en 1996.
Le problème du Tritium, outre sa radioactivité, réside dans le fait qu’il perd assez rapidement ses propriétés lumineuses. Même enfermé dans un coffre, à l’abri des UV. Mais, de manière générale, les montres Tritium prendront de la valeur avec le temps, car les maisons horlogères ont détruits leur stock de pièces Tritium, comme elles l’avaient fait pour le Radium, 30 ans avant. Il en existe encore, de ces pièces, mais elle sont très chères. Un jeux d’aiguilles Tritium pour une Speedmaster 861 est aux alentours des 650 euro, contre 50 euro pour un jeux actuel en super luminova. Pour sourcer ces pièces, il faut s’adresser à des fournituristes indépendants et plus particulièrement à des spécialistes du Vintage. La vente de pièces en Tritium et Radium est devenu un fond de commerce très lucratif.
En 1997, la France interdit définitivement l’utilisation du Tritium.
Luminova
En 1994, une société Japonaise, Nemoto, dépose le brevet d’un produit photo-phosphorescent, qui n’est ni radioactif, ni dangereux pour la santé de celui qui s’en approche. Les horlogers mettent deux ou trois ans à abandonner définitivement la radioactivité. Le « T » disparait des cadrans. Seul le « SUISS » reste.
Cette matière, comme le Tritium avant elle, permet des jeux de couleurs. Si bien que beaucoup de lumages de montre actuels sont plutôt bleu.
Puis, en 2008, cette même société nipponne, lance le Super Luminova, encore plus efficace de luminosité et de durée.
Récapitulons
Radium : de 1903 à 1963
Tritium : de 1963 à 1997
Luminova : depuis 1996
Un dernier point : il est très récent, dans l’histoire de l’horlogerie de poignet, que des marques fabriquent elles même les aiguilles et les cadrans. En effet, par exemple, Omega, pour la Speedmaster, achetait ses cadrans à Singer et ses aiguilles à Fiedler. Si bien que les peintures Tritium utilisées, n’étaient pas les mêmes. Avec le temps, la patine DOIT être différente (coquille d’œuf pour les index du cadran et presque noir pour les aiguilles). Lorsque la couleur des aiguilles et du cadran est trop identique, il y a eu une bidouille ! Cette généralité s’applique aussi aux montres Radium.
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